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Davantage de femmes aux postes à responsabilité: ce n'est que de cette façon que le monde du sport pourra arriver à une égalité de genres. C’est en tout cas l’avis d’une nouvelle plateforme d(anciennes) athlètes de haut niveau. "J'ai joué aux États-Unis, en Espagne, en France et en Russie, et j'ai été 5x joueuse européenne de l'année. Si j'avais été un homme, j'aurais gagné beaucoup plus d'argent et attiré davantage l'attention des médias", estime la basketteuse Ann Wauters.

Ann Wauters est l'une des athlètes de haut niveau à avoir été confrontée à l’écart salarial pendant des années. «Quand je jouais encore dans la WNBA, le budget de toute l'équipe féminine était égal au salaire minimum d'un ‘rookie’», explique-t-elle. Encore plus fort: en 2017, les salaires de 1.693 joueurs des sept principales compétitions européennes de football rassemblées étaient aussi élevés que le salaire de Neymar au PSG.

Mais l'écart de rémunération n'est pas le clou sur lequel veut frapper « Game Changers », une nouvelle plateforme de neuf (anciennes) athlètes de haut niveau qui lutte pour l'autonomisation des femmes dans le sport. En Europe, 83% des athlètes sont désormais payés de la même manière entre hommes et femmes. Là où cette égalité n’est pas d’actualité, en particulier dans le football, le cricket et le golf, c’est à raison de la réalité des chiffres d'audience.

D’autres inégalités sont plus urgentes: selon un briefing interne au Parlement européen (2019), les femmes composent, au plus, 20% des conseils d'administration olympiques et n'occupent que 14% des postes de direction dans les fédérations. Seulement 20 à 30% des entraîneurs sont des femmes. Le journalisme sportif est en grande partie un monde d'hommes, ce qui implique inévitablement une représentation stéréotypée.

Une enquête interne du Comité Olympique et Interfédéral Belge (COIB) confirme que les sportives flamandes ressentent ces inégalités exactement de la même manière. Et dans les fédérations flamandes, il n'y a également qu'une seule femme présidente: 3% qui donne à réfléchir. Il est logique que les Game Changers pensent qu'il est ‘temps d'agir’.

Pourquoi Wout ramène les bidons ?

Gella Vandecaveye, quatre fois judoka européenne de l'année, se souvient qu'à l'époque, il n'était pas évident pour une fille de pratiquer le judo. "Nous étions deux, je me demande même si nous avions notre propre vestiaire. Nous nous sommes entraînées contre les garçons parce que ça nous rendait plus fortes. Je n'ai jamais été dérangée, mais je peux imaginer que les filles préfèrent avoir une femme comme entraîneur."

Nicky Degrendele,championne du Monde de cyclisme sur piste en 2018, a des ‘motivations personnelles’. «Quand j'ai commencé à quinze ans, je ne connaissais pas grand-chose au monde. Il faut apprendre rapidement, voyager ici et là, sans structure fixe. Et on vit tout avec les fédérations et avec les coachs. Jusqu'à récemment, je n'avais jamais eu une coach ou une soignante Je ne savais tout simplement pas comment formuler certaines choses à un hommj’ai souvent eu le sentiment de ne pas être comprise et ce n’était pas toujours accepté qu’en tant que femme vous réagissiez différemment à certaines situations. Je n’arrivais pas à faire sortir les choses correctement et j’ai donc commencé à beaucoup refoulé mes sentiments.Cela a causé un déséquilibre."

Ann Wauters estime que le plus important chez un coach c’est sa compétence, pas que ce soit un homme ou une femme. "Mais pour les jeunes femmes, un coach féminin peut effectivement faire la différence. Je pense que nous avons une vision différente du sport. Le matériel cycliste ne m'intéresse pas du tout, mais je trouve fascinant de comprendre pourquoi Wout Van Aert ramène les bidons sur le Tour de France. Sa relation avec son leader aussi. Nous pensons différemment et cette vision fait défaut quand si peu de femmes occupent des postes à responsabilité et dans les médias. "

Le bon exemple de Kobe

Malgré tout, les Game Changers ne veulent pas de changement radical. Lors de la conférence de presse, on a souligné que ‘l’empowering’ n'implique pas une approche féministe. "Ça ne doit pas devenir une plainte", sourit Wauters. "L'inégalité entre les sexes est enracinée depuis si longtemps que ce n'est la faute de personne. Nous tirons la sonnette d'alarme, mais nous voulons aussi que les hommes se joignent à nous."

Cela suffira-t-il? L'histoire raconte autre chose. Ce n'est pas un hasard si la star du tennis Serena Williams a déjà gagné près de 94 millions de dollars en prix et que son classement est gelé lorsqu'elle est enceinte. C'est le résultat d'un boycott de neuf joueuses contre l'écart salarial croissant. En 1970, ellesavaient lancé leur propre tournoi à Los Angeles. "Nous nous moquions de ne plus jamais jouer à Wimbledon. Quand vous n’avez rien, vous n'avez rien à perdre", rappelait la cheffe de la fronde Billie Jean King à USA Today l'été dernier.

Encore plus frappante a été la décision prise l'an dernier par Ada Hegerberg, la meilleure footballeuse du monde, de quitter l'équipe nationale norvégienne. Selon elle, l’équipe nationale féminine était traitée comme une équipe de second plan par rapport à l’équipe nationale masculine.

"En WNBA, j'ai beaucoup parlé avec des coéquipières noires à l'époque. Les problèmes de ‘Black Lives Matter’ étaient déjà d'actualité à l'époque, et j'ai vu comment les blancs jouaient un rôle crucial dans la réalisation du changement pour les noirs", explique Ann Wauters. "J'ai aussi vu comment Kobe Bryant, père de quatre filles, parlait avec beaucoup de respect des joueuses, ce qui était une énorme motivation. De la même manière, ce serait formidable si Kevin De Bruyne mettait en avant des modèles pour les jeunes femmes d'aujourd'hui."

Selon Phumzile Mlambo-Ngcuka, directrice administrative de UNWomen, le sport est un levier pour enseigner aux femmes la valeur de l'autonomie, du travail d'équipe et de la résilience. Elle préconise vivement davantage d'investissements, une approche de la violence sexiste et des modèles positifs. Mais peuvent Ann Wauters, Gella Vandecaveye, Nicky Degrendele et aussi l'athlète paralympique Gitte Haenen, l'ex-athlète Tia Hellebaut, l'ex-voileuse Evi Van Acker, l'ex-athlète Kim Gevaert, la nageuse Kimberly Buys et la pilote debobsleigh Elfje Willemsen devenir ‘les 9 originales’ du sport belge ?

«Nous ne nous sommes rencontrées que pour la première fois en mars», explique Degrendele. "Et nous avons peu d'expérience. Il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas : nous devons approfondir de nombreuses questions afin d’avoir des chiffres exacts."

La vague #MeToo

"La sensibilisation est nécessaire", déclare Vandecaveye. "Mais cela va-t-il aider? Je ne suis pas naïve : ça va demander beaucoup d’énergie, mais il y aura toujours une différence. On va se heurter à des structures et une bureaucratie lourdes. Je ne sais pas grand-chose à ce sujet. J'ai un diplôme de coach, mais pour moi, le judo c’est le passé, pas l'avenir, et je ne peux pas consacrer beaucoup de temps à cette initiative parce que j'ai un autre travail."

C'est connu: les femmes étudient désormais mieux, mais cela ne mène pas pour autant à des postes de responsabilité. Elles sont toujours plus attentives à l'expansion de la famille et choisissent plus souvent de ne pas se retrouver dans une position de pouvoir stressante. "Pourtant, je suis convaincue que le moment est venu", estime Ann Wauters. "Nous avons eu des mouvements comme Black LivesMatter, #MeToo récemment de toute façon, et nous avons maintenant 50% de femmes au gouvernement fédéral. Le sport est un excellent catalyseur pour promouvoir l'égalité des sexes et la diversité. Mais nous devons aussi professionnaliser l’encadrement sportif. Rendre les réunions des conseil d'administration rémunérées. pour qu'elles aient lieu pendant la journée. Mieux guider le travail de jeunesse. Avoir des coachs femmes qui encadrent également les garçons. On voit qu’avec le meilleur encadrement des Red Flames et des Belgian Cats a amélioré la qualité et augmenté l’intérêt. J’aimerais que mes filles, dans dix ans, quand elles en auront 20, évoluent dans un bien meilleur environnement. Elles jouent au basket !"

Peter Vantyghem - De Standaard, 8/10/2020